Le musée des merveilles.

De Todd Haynes (2017), avec Michelle Williams, Julianne Moore, Oakes Fegley, Millicent Simmonds.

Présenté au Pôle culturel de Sorgues par Pierre Pasquini, dans le cadre du ciné philo, le vendredi 13 décembre 2019.

Avec le film de Haynes nous entrons dans l’univers du conte. Le conte vacille sans cesse entre le réel et l’irréel, l’intérieur et l’extérieur, le possible et l’impossible, et se joue du temps dès le début.9.1.Musée des merveilles

Le réel et l’irréel : nous sommes plongés dès le début dans une poursuite effrayante entre un enfant et un loup. Cette poursuite est un rêve, donc irréelle. Mais ce rêve reprend le seul souvenir d’enfance qui rattache Ben à son père et qui ne peut être un souvenir heureux puisqu’il est lié à un deuil et une absence perpétuée. Il est donc vécu dans la douleur, dans la frayeur même et cela, d’une certaine manière, c’est réel. C’est aussi la métaphore de ce qui suit : une poursuite pour chacun des deux enfants, à la fois inquiétante et désirée, provoquée par ce que l’on peut appeler un accident.

-L’intérieur et l’extérieur. La surdité est une réalité dans la situation des deux enfants mais c’est également une façon de nous déplacer du monde extérieur tel qu’il nous apparaît au monde tel qu’il leur apparaît, à des moments parfois vertigineux (l’accident auquel Rose échappe).

La surdité est une autre métaphore avec laquelle le film joue très habilement. Comment le père et la mère de Rose peuvent-ils lui parler de cette façon alors qu’ils savent qu’elle est sourde ? La décision de lui faire apprendre à lire sur les lèvres, et la façon dont elle lui est présentée sont franchement ignobles, de même que l’attitude de la mère, d’ailleurs actrice de cinéma muet, et à ce titre vouée à la disparition si elle ne s’adapte pas.

Appuyé sur la diversité de la colonne sonore, le film nous fait passer d’un univers sans bruit, ou à faible bruit, à l’univers « normal ». Nous entrons dans celui des enfants et en sortons brutalement : ce n’est pour nous qu’un spectacle.

9.5.Le musée des merveilles-Le possible et l’impossible. Comment deux enfants, sourds qui plus est, peuvent-ils se débrouiller dans New york, une ville qu’ils ne connaissent pas, pleine de périls ? L’ironie (tendre) du film réside dans le fait qu’ils ne connaissent pas le langage des sourds alors que les êtres qu'ils rencontrent, l’ami de Ben, sa grand-mère (qui est en fait Rose), et son grand-oncle le connaissent. « La jungle urbaine » les amène d’ailleurs à la limite, avec les policiers qui poursuivent Rose et le voleur du porte-monnaie de Ben.

-Le jeu avec le temps. Dans l’entrecroisement des récits, qui rythme des étapes similaires, pour les deux enfants, dans ce parcours initiatique, il n’y a pas unité de temps mais d’une certaine manière, il y a unité de lieu, à la fois réel (le musée) et intime (les désirs et souvenirs). C’est là que les deux enfants vont trouver l’être salvateur, ami ou frère.

Le temps de la catastrophe, lui, ponctue les étapes décisives. La foudre frappe les parents de Ben, le rend sourd, terrorise et fait pleurer Rose au cinéma (mais personne ne l’entend, c’est un film muet). Enfin, elle éteint les lumières du musée et de tout New York (La panne de courant New yorkaise de 1977 est une panne d'électricité qui a plongé la ville américaine de New York dans le noir les 13 et 14 juillet 1977. Seul le quartier du Queens, où se trouve le musée, ne fut pas touché, dépendant d'un autre système d'approvisionnement électrique. Haynes a donc un peu triché, mais c’est un conte). On est alors renvoyé vers la seule lumière accessible, celle du ciel (le générique se fait ensuite sur fond de Space Oddity, la chanson de David Bowie sortie en 1969, un de ses premiers succès. « Contrôle terrestre au major Tom, Ground control to major Tom, prends tes protéines et mets ton casque, chanson diffusée par la BBC lors de l’alunissage de 1969). Les temporalités se mêlent pour se retrouver à la fin.

-Le hasard, enfin, ou plutôt la question de savoir s’il y a un hasard. La rencontre entre Ben et son futur ami aurait très bien pu tourner court, mais ce dernier l’a favorisée en le suivant jusqu’au musée, qui est précisément l’endroit où Ben découvre les traces de son passé. C’est aussi le hasard qui place Walter, le frère de Rose, au bon endroit, au moment où elle se fait remarquer. Mais la curiosité des deux enfants pour ce lieu, qui a débouché différemment, n’est peut-être pas un hasard. Le hasard, enfin, fait que la rencontre heureuse advient dans la librairie de Walter. Cela fait penser aux « bonnes rencontres » dont parle Spinoza, rencontres qui nous donnent parfois l’impression de vivre dans un conte de fées, rencontres dues, ou pas, au hasard, la question ne sera jamais tranchée.

Le lien entre les deux enfants est l’absent, à la fois fils et père. Fils de deux sourds et père de quelqu’un qui va le devenir (Mais cela, dit Rose, ne l’a pas handicapé). Hasard à nouveau, ou au contraire révélation logique au bout d’un temps très long.

9.6.Le musée des merveilles

Au sein de ces rencontres émouvantes, le rôle de la musique est très important. On pourrait presque dire que le film est de Carter Burrel autant que de Todd Haynes ! La musique ponctue, unit, différencie les différents moments, de même qu’elle fait entrer dans l’esprit des personnages avec des contrastes volontaires,  comme lorsqu’elle illustre l’image volontairement « d’époque » des années 70. C’est le privilège du conte que de pouvoir fondre des éléments différents sans craindre de heurter.

Le rôle des musées est également important. Le titre américain Wonderstruc désigne les cabinets de curiosité, ce qui n’est pas très évocateur, du moins maintenant. Le musée des merveilles, plus adapté au film, évoque bien les deux musées que l’on y voit : le musée d’histoire naturelle, avec les merveilles de la création (animale et minérale, voir le météorite), et le musée des sciences du Queens, avec la maquette de New York, qui est une merveille à usage personnel puisque Rose y a placé les souvenirs fétiches de son fils, et en a fait un endroit enchanté.

Les grandes questions du conte.

Ce n’est qu’à la fin, en fait, que Ben et Rose auront la réponse aux questions qui parsèment le film. « Où est ma place ? », et « Qu’est-ce qui arrive ? » (what’s going on ?). Le conte se termine bien. Ben commence à apprendre la langue des signes en désignant son ami à sa grand-mère. Le conte n’aura rien caché, toutefois, comme dans les meilleurs contes, de ce que peut être la méchanceté.